À première vue mon travail est protéiforme. Cela s’explique par une curiosité foisonnante envers des médiums et techniques diamétralement opposés, ainsi qu’un libre choix de ne jamais me stabiliser dans une production normée stylistiquement. Je me définis comme une polycultrice jonglant avec des savoir-faire dont je ne suis pas spécialiste. Le point de départ varie. Je pars soit d’une intuition, soit d’une idée conceptuelle, voire d’une expérience personnelle. Sur cette base, je m’amuse à assembler divers éléments que je fabrique ou récupère. « L’assemblage est une ode à la multiplicité et à l’instabilité des identités »1. Il en émerge une tonalité hybride mêlant une facture manuelle proche de l’artisanat et un aspect manufacturé où s’effacent toutes traces humaines.

Les matériaux se conjuguent au pluriel. Ici des franges en laine cotoient un revêtement synthétique suggérant les pores de la peau ( Avec ou sans accent ? ); là des boules de Noël indigo faisant office de perles jouxtent un miroir phallique en bois, re étant un visage en skaï réduit à son minimum avec des serres-câbles en guise de cheveux ( Femme au bord du burn-out ); ici encore une perruque de gogo-danseuse surplombe le crâne chauve d’une silhouette en contreplaqué dont les pupilles étoilés ne sont qu’en réalité des têtes de vis apparentes ( She wants to feel her heart beating ).

Je me sens très attachée aux questions de la représentation des femmes et le corps constitue un motif central et récurrent dans mes œuvres. Le corps comme nous le rappelle Paul B. Preciado, accapare « dans l’actuelle mutation industrielle la place occupée par l’usine au XIXe siècle »2. Qu’il soit stylisé, caricatural, métaphorique ou substitué, cette préocuppation permanente pour ce dernier, laisse entrevoir une dimension sociale et féministe qui tente de capter et remettre en cause des traditions et des normes, des structures de pouvoir et de domination, des clichés et des fantasmes. Je traite ces notions sérieuses souvent de manière dérisoire où l’humour se révèle être une tactique de résistance. Vraisemblablement un héritage de mes origines anglaises.Dans la pièce intitulée L’homme a d’abord marché sur un chewing-gum avant de marcher sur la lune, qui représente l’empreinte d’une godasse dans un chewing-gum géant, le caractère trivial et le titre caustique se rapprochent d’une caricature de Daumier.

Plutôt que de faire des plans sur la comète, je préfère m’ancrer dans la terre. Face à un éparpillement symptomatique de notre époque, la pratique du yoga agit comme un antidote. Ces effets planent sur une partie de mon travail. En reprenant des postures ou des accessoires, je tente d’opérer chez certaines sculptures une tension entre un bien-être qui laisse place au lâcher prise et un effort pénible porté par un corps qui cherche à remplir les cases des canons esthétiques.

Si certaines œuvres produites exhalent une dimension haptique, d’autres nécessitent pour être pleinement appréhendées, une activation de la part du spectacteur. Ce dernier est ainsi mis à contribution, lorsque par exemple il est invité à déplacer les Roller sock . Ces chaussettes orphelines sur roulettes dont le double s’est barré on ne sait où et qui déambulent dans l’espace à la recherche sans doute de leur âme soeur. Un cas fréquent semble-t-il. La cohabitation au sein de l’atelier avec une machine à laver n’y est pas pour rien dans cette histoire. Ces phénomènes du quotidien considérés comme des micro-événements alimentent le processus de création. Il s’y joue une porosité entre la sphère intime et l’activité artistique où le ludique soulève des enjeux socio-politiques.

1 - Pour une esthétique de l’émancipation, Isabelle Alfonsi, B42, Paris, 2019 p.47

2 - Un appartement sur Uranus, Paul B. Preciado, Grasset, Paris, 2019 p.42